Écrans ou cerveaux ?

Benoît Piette    2023-01-06 11:11:54   

Voici un article qui n'émouvera pas les férus de rallyes et autres randonnées où l'observation, l’initiative et la liberté du choix du trajet sont encore indispensables. wink

Laissons donc la plume à Mathilde Combes de Nature & Autonomie


Gros écran, petit cerveau

Un jour pendant une randonnée, mon réseau téléphonique a disparu.
J’étais dans la Drôme, j’allais prendre ma voiture pour partir marcher une journée entre les collines, et puis … plus rien.
Aucun réseau. Orange, SFR, Free : ils avaient tous décidé de me lâcher en même temps. 
Je rallume mon téléphone 3 fois, trafique les paramètres pendant 20 minutes : rien n’y fait. 

Une petite angoisse commence à monter : je dois aller dans un village à l’autre bout du département et personne ne va me dire comment ?

Seule, sans 4 G et paniquée

Sans la petite flèche bleue du GPS, et sans la carte qui bouge en même temps que moi de Google pour me dire où aller : j’étais un peu paniquée, j’avoue. 
Je me suis habituée à Google Maps au point où je ne voyage plus sans lui. 
Vous en connaissez encore beaucoup, des gens qui emmènent leur carte IGN sur l’autoroute des vacances ?

C’est super les GPS. 
Pas besoin de connaître la direction ou le chemin, ni même d’observer les panneaux en soi : il suffit de faire ce qu’il dit : à droite, 2e sortie, à gauche, péage.
Et comme par magie, vous arrivez !

Ça fait à peine 15 ans qu’ils existent, et on se comporte tous comme si on était nés avec eux. 

La petite flèche bleue nous rend plus idiots 

Et c’est vrai, c’est plus simple de voyager depuis que Google Maps, Waze et tous les autres existent. 
Sauf qu’en nous rendant la vie plus confortable, ils en aussi rendu notre corps et notre cerveau plus paresseux :

Notre mémoire est en perte de vitesse
Normalement, c’est l’hippocampe de notre cerveau qui se charge de mémoriser les rues, les arbres et les maisons devant lesquelles on passe.
Il imagine des trajets et teste des options en visualisant l’espace autour de nous (et si je coupais plutôt en diagonale par la ruelle de la Poste ?).

Cette faculté, notre cerveau l’a aiguisée au fil de siècles de chasse, de marche et de vagabondages et… il est en train de la perdre !
Parce que le GPS s’en charge à notre place. 
Les études sont formelles : pour ceux qui utilisent tous les jours un GPS, la mémoire des lieux faiblit.
Leur capacité d’adaptation à leur environnement est plus faible, leur temps de réaction à un imprévu plus long. 
Imaginez qu’à chaque fois que vous vous reposez sur un écran pour savoir s’il faut tourner à droite ou à gauche, votre hippocampe s’endort un peu plus. 
Et avec lui vos capacités de mémorisation, de concentration, d’orientation… 

Nos yeux ne voient plus
Ça ne vous aura pas échappé : sur un GPS, quand vous suivez un chemin, toute la carte est organisée autour de vous. 
Un peu comme un myope : vous ne vous représentez plus l’ensemble de la ville ou du chemin, à vol d’oiseau…
Vous voyez seulement le petit bout de virage, de sortie ou de rond-point au bout de votre nez. 
On n’analyse plus notre position dans l’espace, on se contente de laisser Google nous la montrer, morceau par morceau.
Et c’est précisément ça qui nous rend particulièrement dépendants à ses instructions. 
C’est ça qui fait que j’étais en panique au milieu de ma petite vallée drômoise : toutes ces technologies m’avaient laissée inapte à réfléchir sans elles. 

Vous suivez le guide, mais qui est le guide ? 

Il y a quelque chose de magique là-dedans : on arrivera toujours à destination avec un GPS.
Il indique, on suit, on arrive. 
A la limite, on se fiche presque de savoir par où on passe : on lui fait confiance. 
Les signaux d’alertes, les angoisses, les interrogations critiques se désactivent unes par unes pour laisser nos jambes et nos mains suivre les indications à la lettre. 
C’est tellement confortable de s’abandonner !
Même nos yeux sont comme « hypnotisés » par les instructions.

Ça donne des situations complètement absurdes : 

► Un chauffeur de bus qui brave 6 sens interdits temporaires et rentre dans 3 voitures au passage, parce qu’il suivait mordicus la petite flèche bleue de son GPS.
► Ma meilleure amie qui passe sur un pont fermé à la circulation depuis 2h sans même se rendre compte qu’elle a roulé sur le panneau parce qu’elle a les yeux rivés sur son itinéraire
► Des chemins à peine carrossables, sinueux et impraticables qu’on suit parce que l’application nous a dit qu’ils nous feraient gagner 2 minutes par rapport à la route qui passe juste à côté…

Vous suivez moins vos yeux, votre instinct, votre cerveau, votre mémoire… que votre écran ! 
Alors ces algorithmes vous emmènent exactement où ils veulent. Devant des magasins qui seraient susceptibles de vous plaire, en face du café où vous vous êtes déjà arrêté 4 fois…
De là à dire que Google Maps influence nos trajets en fonction des données qu’il récolte sur nous, il n’y a qu’un pas.

Plus que mes yeux et la vallée

Le jour où je me suis retrouvée seule sans réseau dans ma vallée drômoise, je n’ai pas eu le choix. 
Je suis quand même partie, sans mon téléphone, sans Google Maps, avec une bonne vieille carte. 
Alors j’ai levé les yeux, suivi les panneaux, observé les montagnes, les têtes des maisons et les coins de rue.
Ça faisait longtemps que je ne leur avais pas autant prêté attention. 

Mon œil à l’affût des signes, et des petites miettes auxquelles me raccrocher pour ne pas me perdre.
Le soleil était en train de se lever, et le ciel reprenait doucement ses couleurs, c’était magnifique et j’étais complètement « dedans ». 
C’est un des plus beaux trajets que j’aie faits ces derniers temps. 
Parce que je l’ai passé absorbée dans le paysage et pas à suivre le dessin que m’en faisait mon téléphone. 

Mais perdons-nous un peu plus ! 

Je n’ai sûrement pas pris l’itinéraire les plus optimisé, le plus efficace. Celui qui dure précisément 7 minutes de moins que tous les autres. 
Mais qu’est-ce que ça m’a fait du bien ! 
Je suis passée près d’une abbaye, perdue à la lisière d’une forêt, j’ai traversé un village perché sur son promontoire de chênes verts, une route à l’abri d’une voûte de hêtres somptueuse… 
Tout ça, je ne l’aurais sans doute même pas vu (et pas croisé) en suivant mon petit tracé millimétré. 

Tout ça, c’est ce qu’on perd en même temps que notre mémoire et notre aplomb, à force de laisser Google Maps lentement prendre le contrôle de nos trajets. 
Alors perdons nous un peu plus !
Laissons-nous balader par nos yeux, laissons nos cerveaux élaborer eux-mêmes les hypothèses qu’ils ont envie de suivre, se tromper parfois, et vagabonder un peu…
Parce que c’est beau et parce que c’est bon pour nous. 

Mathilde Combes

 🏆 Question pour nos lecteurs :
Quelle est la marque du coupé rouge illustrant cet article ?

Vos commentaires

  • Le 10 janvier 2023 à 15:48, par Jean Gauchet En réponse à : Écrans ou cerveaux ?

    Annule et remplace le précèdent :

    Pour l’instant vous pouvez encore acheter des cartes routières. Mais dès qu’elles auront disparues, les sociétés Gps auront le MONOPOLE !
    De vous faire passer par des autoroutes payantes, ou en face de tel établissement etc...
    Tiens, lorsque vous allez à Caen : sortez après le pont de Normandie : à droite. 3ème rond-point à gauche. Jusqu’à Pont-L’Evêque. Allez donc déjeuner ou gouter au Saint-Honoré..... Trajet bien plus court, belle économie de péages.
    Autre exemple connu : Autoroute de Paris à Bordeaux. passez par la nationale d’Angoulême = quatre voies tranquilles, moins long, et gratuite ! C’est tellement vrai que sur les grandes cartes au mur des stations d’autoroute : cette route est à demi effacée. !.....

  • Le 10 janvier 2023 à 17:38, par Jibé En réponse à : Écrans ou cerveaux ?

    Le coupé rouge est une SERA (PANHARD).

    SERA = Société d’Etudes Réalisations Automobiles.

  • Le 10 janvier 2023 à 18:08, par Benoît Piette En réponse à : Écrans ou cerveaux ?

    En effet, c’est une Panhard... mais pas une SERA :-(
    Une info : elle a été construite en 1963 ;-)

  • Le 23 avril 2023 à 08:49, par Benoît Piette En réponse à : Écrans ou cerveaux ?

    Vous donnez votre langue au chat ?

    Il s’agit d’une Panhard Arista de 1963. C’était le chant du cygne de cette petite marque française.

    Fabriquée en fibre de verre, sa ligne préfigure la Renault Fuego...

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