La moto orpheline !

Mary-Jane Noël    2004-04-08 00:00:00   

Nouvelle :

"La Moto Orpheline", une nouvelle de Mary-Jane NOEL.


J.C. était heureux, cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Les calendriers avec leurs cortèges de jours sans joie il les avaient détruits. Aujourd’hui il avait décidé d’aller faire un tour en moto avec aux creux des reins ce bonheur tout neuf que lui avait offert cette jeune femme. Il l’avait rencontré quelques jours auparavant, au bout d’un chemin de terre traversant un parc, une femme très belle sur un banc, pensive, seule. Il prit sa destinée en main en lui adressant un "bonjour" plein d’espoir, elle leva ses beaux yeux noisettes et lui sourit, elle su à cet instant que c’était l’homme qui allait la délivrer de l’ennui qui lui collait à la peau depuis tant d’années.

L’amour avait fait des étincelles dans leurs coeurs et de leurs nuits, chacun de leur côté, un feu d’artifice. Ils allaient se retrouver dans deux jours, au beau milieu de leur solitude, ils avaient décidé de s’unir.

La route se profilait devant lui comme une piste d’envol et se déroulait sous ses roues comme un tapis d’honneur en goudron, il avait l’impression de voler tant le vent s’engouffrait dans son blouson. Des ailes lui étaient poussées il en était sûre désormais. Il était seul sur cette voie bien droite, au nord de la ville, elle s’étendait si loin qu’elle semblait manger une partie de l’horizon. Comme seule clarté, le soleil rouge de l’aube lui offrait une auréole de sang. J.C. souriait, il n’avait plus envie de penser à cette vieille solitude qui tombait en lambeau au fur et à mesure qu’il roulait.
Sa moto sous son corps vombrissait comme à l’accoutumée, elle dévorait les kilomètres, cette compagne fidèle et dévouée qui l’emmenait partout où il le désirait. Cette bête de fer, toujours loyale, la seule qui ne l’avait jamais lâché.

Il l’avait toujours comparé à un corps de femme, ce qui faisait sourire ses amis elle en avait le galbe, la finesse, il aimait sa ligne féline. Il était heureux et voulait rouler indéfiniment, ne plus s’arrêter durant deux jours, son corps explosait de bonheur, il n’avait plus besoin d’aucune substance pour survivre. Il ne voulait plus toucher le sol, il avait un aigle tatoué dans le dos et une colombe c’était posée dans son coeur. Il aurait voulu ne jamais se décoller de sa machine, la chair et l’acier, un seul corps s’élançant vers une autre destinée. L’idée de faire un clin d’oeil à la mort lui effleura l’esprit, comme les câles pieds effleurent le goudron dans les tournants serrés. Lui aussi était à un tournant de son existence, il avait décidé de tourner la page, il était aveuglé par la blancheur de la suivante, mais il allait y graver un si beau prénom. J.C. envahi par un nouveau bonheur jouait à se faire peur, parfois il fermait les yeux quelques secondes et se retrouvait dans l’obscurité qu’il avait choisie. Voilà ce qu’il voulait au fond, fermer ses paupières sur le soleil rouge qui l’éblouissait à travers sa visière comme on dépose un linceul sur un corps pour cacher la mort et sa froideur. Il voulait juste quelques secondes voiler son passé de solitaire puisqu’il ne l’était plus.

H.T. roulait comme un fou au volant de sa nouvelle mercédes, à quoi pouvez bien servir cette belle carrosserie puisque ce matin sa femme qu’il adorait lui avait annoncé qu’elle le quittait pour un autre homme rencontré deux jours auparavant. Il avait dépensé sans compter une partie de sa vie à travailler d’arrache pied pour lui apporter confort et sécurité. Elle lui avait déchiré le coeur avec quelques mots, des mots tranchants comme des larmes de rasoir qui étaient sortis de cette bouche qu’il avait tant aimé embrassé. Elle le quittait sans un regret, sans un regard sur ce qui fut leur vie.

Il n’avait qu’une envie la tuer, si lui ne pouvait plus la prendre dans ses bras, aucun autre ne continuerait à l’étreindre. Elle était à lui, puis pensant que c’était idiot, il y renonça. L’âme brûlante de haine, le chagrin lui déchirant la poitrine, il prit sa voiture et décida de rouler sur cette belle route au nord de la ville. L’aube naissante dessinait des tâches dans le ciel, il y voyait des éclaboussures de sang, l’aveuglement du soleil rouge sûrement. Les mains crispées sur le volant, qu’il imaginait être le cou délicat de sa femme, l’attention quasi inexistente et la raison bien au delà du seuil de la folie autorisée, il broyait un volant, un cou.... Instinctivement il jeta un regard dans son rétroviseur, il fut troublé, il n’était pas seul, derrière lui une lumière blanche, ronde le suivait au loin et se rapprochait de plus en plus. Un bruit rauque le poursuivait désormais, il mit quelques minutes à réaliser que ce qui le rattrapait était une moto. Cette lumière qui avançait vers lui le gênait comme un capitaine qui décide de s’échouer avec son bateau dans les flots et qui aperçoit la lumière d’un phare. Son coeur était glacé comme si une épaisse couche de glace l’entourait. Il voulait rester seul, cet intrus lui volait sa route, il ne voulait plus rien devant lui, ni dans sa vie, l’abandon devait être total. L’être qu’il aimait avait dévasté son coeur et tout emporté avec elle. Elle avait osé fracturé la porte de son jardin secret lui volant l’espoir qu’il y cultivait.

La lumière du jour se levait d’avantage et éclaboussait de poussière une route que deux hommes empruntaient pour filer vers leur destinée. L’un rongé par la douleur, l’autre ivre de bonheur, totalement indifférents à ce qui les entourait, ils filaient en fixant la ligne blanche comme un funambule fixe le fil qu’il traverse au dessus d’un ravin. Aucun des deux, finalement, n’avait un balancier pour l’aider à ne pas osciller entre la raison et la folie, tous les deux savaient que douleur et bonheur se conjugaient si bien. J.C. faisait de plus en plus corps avec sa moto et s’imaginait tendrement couché sur le corps de cette femme qu’il aimait déjà. H.T. serrait de plus en plus le volant de sa voiture imaginant casser le cou de cette femme qu’il avait follement aimé. Les deux hommes allaient fatalement se croiser, J.C. ne songeait qu’à une chose, que le corps de fer se change en corps de chair, plus que deux jours se répétait il. Il se détacha doucement du corps de métal pour regarder si l’homme qui conduisait la voiture et qu’il allait dépasser le voyait dans son rétroviseur et allait s’apercevoir qu’une moto surgissait sur le côté. Il fut surpris quelques secondes du regard et de l’attitude de celui-ci, il serrait son volant d’une façon étrange, les yeux cloués au fond de l’horizon. H.T. finissait d’étrangler sa femme dans son évasive folie, son esprit lui échappa quelques secondes, le corps lourd de la morte qu’il voulu aider à tomber sur le côté n’était rien d’autre que le volant de sa voiture, il donna un violent coup à gauche et ne vit absolument pas le motard le dépasser. L’accident fut inévitable et la collision particulièrement brutale, H.T. devint véritablement un meurtrier.

Sur une route baignée d’une lumière rouge sang deux hommes se sont croisés. Le destin les avait réunis en une fraction de seconde. Deux jours plus tard Hélène appris que l’homme pour qui elle avait éprouvé une passion instantanée avait été tué lors d’un grave accident. Les mots étaient inutiles, les larmes abondantes et la blessure de son coeur si béante qu’elle renonça à quitter son mari, elle continuerait à aimer en secret ce beau motard et à haïr en silence l’erreur de cette union.

H.T. ne su jamais pourquoi sa femme décida brusquement de rester à ces côtés, peut être que l’autre finalement l’avait tout bonnement abandonné.

Mary-Jane.

Vos commentaires

  • Le 16 avril 2004 à 15:53, par Nortonette En réponse à : > La moto orpheline !

    Ce texte est magnifique, il m’a beaucoup ému, magnifiquement bien écrit, je voudrais lire beaucoup plus de Mary-Jane NOEL

    FELICITATION !!!

  • Le 16 avril 2004 à 16:29, par Mano En réponse à : > La moto orpheline !

    Belle histoire, émouvante et si réelle, avec un style personnel et très fluide. On ressent la passion de la moto au travers des mots.

    Au plaisir de lire Mary-Jane Noël très prochainement.

  • Le 17 avril 2004 à 11:03, par Maude En réponse à : > La moto orpheline !

    Tu as une belle plume Jenny.
    A quand la prochaine ?

  • Le 18 avril 2004 à 11:56, par Mary-Jane NOEL En réponse à : > La moto orpheline !

    Merci à toi je suis contente que ce texte te plaise. Je vais essayer de répondre à ton attente et de faire en sorte que tu me lises encore.

  • Le 18 avril 2004 à 11:58, par Mary-Jane NOEL En réponse à : > La moto orpheline !

    Merci à Mano et Maude. Je serais heureuse de pouvoir vous contenter en écrivant une autre histoire bientôt.

  • Le 18 avril 2004 à 16:49, par Jerry Fletcher En réponse à : > La moto orpheline !

    Magnifique style.
    En espérant vite un ecrit moins réaliste à certain destin de motard.
    Bonne courage pour la suite.

  • Le 18 avril 2004 à 21:14 En réponse à : > La moto orpheline !

    Merci se sera un grand plaisir de te relire ;o) A bientôt, je ne quitte plus ce site ...

  • Le 18 avril 2004 à 21:23, par Gallehade En réponse à : > La moto orpheline !

    Superbe !!! J’espere que c’est le debut d’une longue série... ;) je te souhaite de réussir dans cette voie... il faut y croire, et j’y crois a fond apres avoir lu ca :)

    bisous a toi

  • Le 19 avril 2004 à 13:47, par NiKo En réponse à : > La moto orpheline !

    C’est super chouette :)

  • Le 19 avril 2004 à 18:43 En réponse à : > La moto orpheline !

    Merci malheureusement mon style n’est jamais très gai, je n’aime écrire que des choses noires. Mais j’essayerais un jour c’est promis.

  • Le 19 avril 2004 à 18:45 En réponse à : > La moto orpheline !

    Je suis contente de te lire sur ce site qui est très bon. Motomag est super bien fait. Merci à toi d’avoir lu mon texte et merci pour tes encouragements ça fait chaud au coeur.

  • Le 19 avril 2004 à 18:46 En réponse à : > La moto orpheline !

    Merci Niko de tout coeur

  • Le 19 avril 2004 à 18:48 En réponse à : > La moto orpheline !

    Tu as raison il est très chouette et tout est vraiment mis en valeur.

    Beaucoup de choses y sont traitées et très intéressantes.

  • Le 20 avril 2004 à 13:17, par seb47 En réponse à : > La moto orpheline !

    Bravo ! très bien !!

  • Le 20 avril 2004 à 13:46 En réponse à : > La moto orpheline !

    Je suis contente que cela te plaise à bientôt sur motomag lol

  • Le 22 avril 2004 à 11:48, par Pbxl En réponse à : > La moto orpheline !

    Une très jolie nouvelle qui m’a offert 5 minutes de rêve ..
    Merci !

  • Le 26 avril 2004 à 14:16, par jean-luc En réponse à : > La moto orpheline !

    Un de mes clients et ami a perdu la vie mardi 20 avril dernier "dans l’action" ; coïncidence ou transmision de pensée ?
    Merci pour cet article

  • Le 26 avril 2004 à 18:30 En réponse à : > La moto orpheline !

    Salut PBXL contente de t’avoir offert 5 minutes de rêve. Merci à toi

  • Le 26 avril 2004 à 18:32 En réponse à : > La moto orpheline !

    Bonjour Jean-Luc

    Vraiment désolée et triste de lire cela. Peut être une transmission de pensée motarde. Merci et courage pour l’ami perdu.

  • Le 26 avril 2004 à 18:37, par upatou & cane En réponse à : > La moto orpheline !

    C’est triste mais c’est beau.

    Alternativement se trouver un instant dans l’esprit de celui qui chavire de bonheur et celui qui est ivre de rage...

    Il arrive parfois des accidents tellement inexpliquables et tragiques, qu’il est possble effectivement que le ressort mental du meurtrier se soit l’espace d’une fraction de seconde détraqué.

    Félicitations pour ton style et ta finesse.
    A quand l’édition même à compte d’auteur ?

    Bravo et merci.

    Upatou & Cane.

  • Le 28 avril 2004 à 13:59 En réponse à : > La moto orpheline !

    Surtout merci à vous pour ce beau texte.Dans la vie tout est tellement possible de part l’esprit parfois tordu de l’être humain, que l’on a droit à l’imagination à l’infini.

    J’espère l’édition pour bientôt je m’y attèle de tout mon coeur. Mais c’est long et difficile, comme tous les parcours de la vie.

  • Le 8 septembre 2004 à 13:14, par Un couple de motard En réponse à : > La moto orpheline !

    Je ne connaissais pas ce site, j’y suis tombée dessus par hasard et je reviendrai car super.

    Ce texte est émotionnel mais surtout très vrai.
    La vie ne tient qu’à un fil et il faut la vivre au moment présent et en savourer chaque instant.

    Il est vrai que souvent nous,motard, faisons attention sur les routes et essayons d’attirer l’attention des automobilistes quand nous les doublons mais trop souvent un coup de volant perdu et c’est notre vie que nous perdons.

    Alors automobiliste soyez prudent également quand vous nous voyez, vous c’est de la tôle que vous abîmerez mais notre vie que vous gâcherez.

    Bonne route à vous et soyez prudent.

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