Joseph Lambert : "J’ai besoin de challenges"

Bob d’Automag    2023-02-15 12:13:19   

Interview de Joseph Lambert réalisée par Bernard Verstraete en début d’année 2017.


Un traceur au parcours exceptionnel. 

Joseph Lambert, cet homme est infatigable ! Non content d’avoir signé une carrière complète chez Goodyear au cours de laquelle il a rencontré un nombre incalculable de personnalités des sports moteurs, il a accompagné José Lareppe aux quatre coins du monde, il a secondé Nicolas Min lors de ses trois saisons passées chez Mitsubishi, avant de rebondir dans les rallyes historiques en 1993. Une discipline où il vient de remporter son second titre européen. Et comme si cela ne suffisait pas, il est également traceur des plus beaux rallyes de régularité organisés par des Belges chez nous mais aussi en Europe. Bref, avec Joseph, les minutes s’écoulent vite parce que nous l’écouterions pendant des heures...

Félicitations, Joseph, pour ton second titre en Championnat d’Europe des Rallyes Historiques de Régularité… Celui-ci te procure-t-il la même satisfaction que le premier ?

"En 2015, j’avais été titré à égalité avec l’Italien Calegari. Cette fois, je le suis seul chez les copilotes, Christian Crucifix, avec qui j’ai disputé toute la saison, le devenant pour la première fois chez les pilotes. Nous avons seulement fait l’impasse sur le dernier rallye, parce qu’il ne pouvait plus
rien changer au classement. Le championnat se déroule sur huit manches et 4 résultats sont retenus. C’est peu mais, si un concurrent en remporte trois, cela t’oblige à participer à l’intégralité du championnat si tu veux garder une
chance de le battre. En 2015, avec Paolo Marcattilj, nous nous sommes partagés toutes les victoires. L’an passé, nous en avons remporté 5 sur 7. Ce ne sont pas nécessairement des victoires au général parce que seuls les concurrents qui participent au Championnat FIA prennent des points."

Attaches-tu plus d’importance à un tel titre ou à une victoire au Monte-Carlo Historique, par exemple ?

"Le Monte-Carlo, c’est avant tout une épreuve de renom mais ce n’est pas

celle que je préfère. Il faut reconnaître que lorsque tu gagnes là-bas, tu es reconnu, cela se sait très rapidement et tu jouis d’un certain prestige auprès des autres concurrents. Mais j’aime avant tout me fixer un challenge dans ce que je fais. Ça ne m’intéresse donc pas de participer à trois ou quatre épreuves comme ça, sans qu’il y ait une récompense à la clé. Le but peut être un challenge moins connu, comme celui que j’ai remporté avec mon fils, Patrick, qui se disputait dans l’Est de la France. Nous voulions faire cinq rallyes ensemble et ce Challenge correspondait justement à nos souhaits. Avec Christian (Crucifix, NdlR), nous avons déjà disputé trois fois ce Championnat d’Europe et nous allons repartir pour une quatrième année."

Joseph Lambert et Christian Crucifix (à gauche) respectivement champions des copilotes et des pilotes, lors de la remise des prix du Championnat d’Europe des Rallyes Historiques de Régularité 2016.

Il t’arrive quand même de faire des ’one shot’...

"Bien sûr. Cela ne m’empêche pas de m’amuser avec Yves Deflandre lorsque
nous allons au Portugal. Mais c’est pour moi la plus belle épreuve de régularité. Vu que de nombreuses zones sont à 60 km/h, c’est plus sportif parce que les lignes droites y sont inexistantes. Il faut donc se cracher dans les mains. Par contre, si tu n’as pas 200 ch sous le capot, donc une Escort BDA, une Kadett comme celle de José Lareppe, une 240Z ou une Porsche 911, il est impossible de gagner. Il y a bien un concurrent local qui s’en sort avec une BMW 2002 mais il connaît l’épreuve comme sa poche. J’ai aussi participé aux Legend Boucles à Bastogne avec Yves mais avec lui, je n’ai pas besoin d’un challenge parce qu’on s’amuse bien ensemble."

En Championnat d’Europe, y a-t-il de grandes différences entre les organisations ?

"Oui, et c’est une des raisons pour lesquelles je ne veux pas y participer pour une ou deux manches. Certaines sont mal organisées et certaines épreuves viennent en complément du championnat de vitesse historique, dans lequel on trouve un plateau d’enfer. Ces organisateurs se soucient peu de l’exactitude de nos road books. Mis à part l’Elba cette saison, que nous avons gagné, nous n’avons jamais fait un bon résultat en Italie. En voyant les illustres inconnus qui nous battaient là-bas et jamais ailleurs, je ne sais pas comment étaient faits les comptes ? Malheureusement, il va encore falloir y retourner cette année parce que le règlement prévoit maintenant de comptabiliser 4 résultats sur 6. On ne peut donc pas se passer du premier et on débute là-bas le 1er avril."

Selon nos informations, vous repartez avec une nouvelle voiture !

"Nous roulerons avec une Ford Anglia qui a été totalement reconstruite par Blix Motorsport l’an dernier. Mais vu qu’ils ont ouvert le championnat aux voitures d’avant 1985, il est possible que nous roulions quelques fois avec la Porsche 911. En Italie, les vitesses moyennes dépendent toutefois de l’âge de la voiture. Avec la Ford, nous sommes dans la catégorie la plus lente, ce qui peut aider lorsqu’il y a du brouillard dans l’arrière-pays."

En régularité, j’ai roulé avec des gars qui étaient mes adversaires dans les épreuves modernes. 

Sinon, la moyenne est à 50 km/h en général ?

"Oui, à l’exception des deux épreuves italiennes et en Grèce où c’est plutôt 48 km/h. Elles se disputent toutes sur asphalte, sauf le Rally of the Tests en Angleterre. Mais celui-ci ne fait plus partie du championnat cette année parce qu’ils travaillent toujours à l’ancienne, avec des contrôleurs humains. C’est regrettable parce que tu y travailles encore avec des cartes et cela reste chouette pour le copilote alors que d’autres proposent désormais des reconnaissances, ce qui va à l’encontre des principes de la discipline."

Depuis combien de temps es-tu actif en rallyes de régularité ?

"J’ai débuté en 1993, un an avant la fin de l’aventure Mitsubishi avec Nicolas Min. C’était avec Didi, lorsque nous avons gagné le Liège-Rome-Liège. Nous avons roulé ensemble pendant six ou sept ans. J’ai ensuite roulé avec Alain Lopes, avec Chavan, avec Willy Lux, avec Eric Van Peer… des gars qui étaient mes adversaires dans les épreuves modernes et que je découvrais lors de cette seconde carrière de copilote. Et je peux te dire que Charles (Chavan, NdlR) possède encore un sérieux coup de volant en plus du charme naturel du personnage. Tu ne peux même pas lui en vouloir d’être désorganisé comme il peut l’être ! Cela se termine toujours en rigolade. J’ai fait le PAC de Borremans avec lui parce que Charles s’était fait un honneur d’en gagner au moins un. C’était un rallye de fous, en trois jours dans le sud de la France avec des moyennes intenables. Chavan a gagné aussi le dernier Classic Marathon. J’ai fait pas mal de rallyes, en six ou sept ans, avec lui. Nous avons participé deux ou trois fois aux Legend Boucles. Mais c’était surtout des rallyes à l’étranger. Je ne peux pas les énumérer de mémoire mais j’ai encore les résultats de mes premiers rallyes. Un jour, je mettrai de l’ordre là-dedans pour la postérité (rires)."

En 1995, Joseph a participé à Liège-Sofia-Liège aux côtés de Didi sur cette superbe Alfa Roméo Sprint Zagato. - Plusieurs fois animateurs de l’épreuve, José Lareppe et Joseph Lambert ont inscrit leurs noms au palmarès du Monte-Carlo Historique en 2010 et 2012.

On a parlé du Monte-Carlo... Et le Neige & Glace, qu’en penses-tu ?

"Le Neige & Glace demande moins de temps de préparation car il n’y a pas de reconnaissances. Les coûts y sont donc moindres. De plus, la présence de neige y est quasiment garantie. Sur le plan sportif, à pilote équivalent, je préfère faire le Monte-Carlo. Mais je ne veux pas y retourner tant que nous n’aurons pas la garantie que les problèmes de prise de temps sont résolus. La dernière fois, en 2014, nous sommes quatre à avoir le sentiment d’avoir été grugés. Au Neige & Glace, je prends beaucoup de plaisir quand je roule avec Johnny Delhez ou Yves Deflandre. Avec Alain Lopes, nous l’avons remporté en 2004. Mais comme il était proche du Monte-Carlo, je n’ai plus pu y participer par la suite. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’enchaînais les deux. Là, je vais y participer pour la 5ème fois avec Johnny Delhez parce qu’Yves roule avec Eddy Gully, l’habituel copilote de Johnny. Certes, la Porsche est plus appropriée que l’Escort mais je suis toujours épaté de voir comment Johnny maîtrise l’auto en conduisant pratiquement avec une seule main. Et sur la neige, je peux vous dire qu’il assure ! Lorsque j’ai roulé la première fois avec lui, je le poussais et il était étonné parce que ce n’est pas un pilote de rallye de vitesse. Mais comme il a décroché son meilleur résultat avec moi, il a apprécié. De son côté, Yves sait aussi que j’ai l’expérience de ma première carrière pour les Legend dans la catégorie reine et il ne veut les faire qu’avec moi."

Un autre duo de choc : Joseph avec Alain Lopès, sur une magnifique Jaguar Mk2, ici au Monte-Carlo Challenge 1999, une épreuve "anglaise" qui a dû changer de nom quand l’ACM a créé le Monte-Carlo Historique, que Lopès-Lambert ont remporté en 2007.

L’équipement électronique dénature le rallye de régularité, mais tu ne peux pas t’en passer si tu joues la victoire. 

Que penses-tu de l’évolution technologique dans les rallyes historiques ?

"L’arrivée de l’électronique embarquée est regrettable mais, aujourd’hui, tu ne peux plus t’en passer si tu veux jouer la victoire dans certaines épreuves. En Angleterre, cela ne sert à rien parce que le concept est très particulier, encore à l’ancienne. Pour le Liège-Rome-Liège, je ne peux pas l’interdire parce qu’il est impossible de contrôler sa présence ou non à bord. Mais je vais donner des tables et il y aura assez de changements de moyenne pour mettre quiconque au défi de maîtriser l’utilisation du Blunik pour arriver à encoder ces moyennes sans se tromper. Dans le sud de l’Europe ou même au Monte-Carlo, il est devenu impossible de finir dans les vingt premiers sans utiliser ces appareils. Aux Asturies, il y a 200 prises de temps et la moyenne de notre écart est de trois dixièmes de seconde sur l’ensemble de l’épreuve.

Cela, c’est impossible à réaliser sans Blunik et sans une équipe qui analyse tes temps pour les boucles suivantes. C’est regrettable car ça dénature totalement le rallye de régularité. Mais même un gars comme Robert Vandevorst, qui ne voulait pas en entendre parler, a complètement retourné sa veste et ne veut plus faire de rallyes s’il ne peut pas se servir de son Blunik. Cela a complètement dévalué le métier de copilote et c’est malheureux. Je me souviens encore du "Monte-Carlo des Anglais" où tu recevais la carte avant le départ et où tu travaillais réellement en tant que copilote."

HÔTE DE DIVERSES CELEBRITES ! 

Gérer un centre d’essais peut réserver de belles surprises...

"Chaque année, nous organisions des essais hivernaux sur un lac près de St Moritz. Un jour, je suis occupé à présenter la gamme à des journalistes français quand un gars de mon équipe vient me dire qu’un monsieur voudrait absolument venir sur le circuit avec son véhicule," raconte Joseph. "Quelques minutes plus tard, mon assistant revient et me dit qu’il insiste, que "c’est un certain M. Von quelque chose". Je lui réponds que "même si c’était Von Karajan, je dirais non". Et lorsque mon assistant est venu pour la
3ème fois, c’était pour me dire que qu’il s’agissait bien du célèbre chef d’orchestre ! Depuis, celui-ci est venu nous saluer chaque année ; il venait avec sa Subaru 4WD. Il demandait à nos pilotes de faire un tour avec sa voiture puis il montait à son tour pour voir si, d’année en année, il perdait de son tempo par rapport à nos pilotes… Evidemment, on avait fait le buzz dans la presse française de l’époque !
Autre anecdote : quand le Grand-Duc recevait des invités qui aimaient l’automobile, son château étant situé à Colmarberg, pas loin du circuit, il ne manquait pas de les emmener sur la piste Goodyear après nous avoir passé un petit coup de fil. C’est comme ça que j’ai rencontré le Roi et la Reine de Suède."

Tout comme les reconnaissances. Combien de temps y consacrez-vous par exemple pour le Monte-Carlo ?

"Avec José Lareppe, on y passait une petite semaine, 5 à 6 jours. Voyage compris et avec un seul passage. Mais je ne suis pas certain que José ne fasse toujours qu’un passage aujourd’hui. Et je comprends. Pour gagner aujourd’hui, il faut consacrer 3 semaines au Monte-Carlo. Pour le copilote, ça demande déjà deux jours rien que pour établir le roadbook d’assistance."

Où en sont tes relations avec José Lareppe, avec qui la collaboration s’est arrêtée un peu brusquement ?

"J’ai toujours de bons contacts avec lui. Mais nous n’avions plus la même philosophie. Moi, je voulais avant tout m’amuser, être avec mes copains tout en visant un bon résultat. Lui, il voulait gagner à n’importe quel prix et ce n’est pas dans ma mentalité. La dernière fois, j’ai préféré en rester là après 30 années de vie commune si je puis dire. Nous avons roulé ensemble en rallye de vitesse de 1983 à 1990."

José Lareppe et Joseph Lambert ont animé le Championnat de Belgique des Rallyes pendant 8 ans, décrochant le titre en Gr.A en 1984 et 1985. - (A droite) : Première saison avec José Lareppe en 1983 et d’emblée un titre Inter en Gr2 avec la Kadett.

Puis vous avez recommencé en Historique…

"Oui, je roulais avec Alain Lopes. José est venu me demander de reformer notre équipage et nous avons gagné le Monte-Carlo. Mais pour en revenir aux équipements électroniques, cela ne me satisfait pas totalement. Tu dois juste lire ton roadbook, il n’y a plus de calculs de moyenne… C’est pour cela que je me suis aussi tourné vers les rallyes d’orientation avec mon fils."

Et de l’orientation, il n’y en a jamais en Championnat d’Europe ?

"Non, sauf en Angleterre. Là-bas, tu as encore une carte à tracer pendant le rallye. Il y a ’Le Jog’ et le ’Rally of the Tests’ qui sont les deux rallyes anglais les plus difficiles. J’ai roulé à l’époque avec le Suisse Philip Burckhardt sur une BMW 328 d’avant-guerre et j’en ai d’excellents souvenirs. Nous nous sommes rencontrés lors du Rallye du Morvan qui partait de Beaufays. En 2002, nous avons même fait le Championnat FIA Historique de Vitesse avec la même BMW contre des 911 et nous avons gagné parce que les points étaient attribués en fonction de l’âge de la voiture. Entre 1998 et 2004, j’ai fait de belles choses avec lui dans toute l’Europe et même en Afrique. Il était toujours partant. J’ai même roulé avec son mécano, un ancien champion de sidecar, sur une Austin Healey et une Maserati."

En 2001, Joseph a eu une collaboration suivie avec le Suisse Philippe Burckhardt qui alignait une superbe BMW 328 Roadster. - Joseph garde d’excellents souvenirs de ses rallyes de régularité avec Chavan, avec qui on ne s’ennuie pas.

J’ai débuté en 1969 avec un ami à bord d’une 2cv au Club de Fléron. 

Revenons sur les rallyes modernes. A quand remontent tes débuts ?

"J’ai débuté dans des clubs régionaux en 1969 mais mon initiation, ce fut lors de ma deuxième année à l’université avec un ami à bord d’une 2CV au Club de Fléron. Puis nous avons fait des entraînements les samedis soir avec mon beau-frère, José Baltus, à bord d’une Mini et quelques petits rallyes dans la région verviétoise. Ensuite, j’ai fait deux saisons en NSU avec Nicolas Hardy – avec qui nous avons battu tous les cadors de Verviers alors que nous avions pris une vache sur le capot et qu’il saignait sérieusement –, avant d’enchaîner des épreuves avec ma femme. Il y a aussi eu des rallyes en compagnie de mon beau-frère avec lequel j’ai remporté le Rallye des Genêts sur une Datsun 120A. Vers 1975, j’ai roulé deux ou trois saisons avec Michel Heine mais j’avais déjà rencontré André Peters, qui travaillait avec moi chez Goodyear. Avec lui, nous avons remporté le championnat interprovincial en 1978 avec une Ford Escort 1600. J’avais aussi commencé en National avec Alain Beauchef, qui était lui aussi pilote d’essais chez Goodyear. En 1982, avec André, nous avons réalisé un beau début de saison avec notamment une 6ème place à Spa, et la 2ème de classe, avant de terminer 9ème au Circuit des Ardennes. Mais au Haspengouw, il a détruit sa voiture et décidé d’en rester là."

Même s’il a débuté en compétition comme copilote. Joseph Lambert s’est essayé un peu au volant sur cette Simca Rallye. De 1975 à 1977, Joseph a roulé avec Michel Heine, fils du concessionnaire Ford, sur une Escort RS2000 en ASAF. Son beau-frère José Baltus a été un des premiers pilotes de Joseph Lambert. Ensemble, ils ont remporté le Rallye des Genêts 1980 sur une Datsun 120A.

Avec José Lareppe, ça allait très vite. As-tu souvent eu des sensations ?

"Je devais être fou à l’époque mais je n’ai jamais vraiment eu peur. A l’exception de la deuxième ou la troisième épreuve que j’ai faite avec lui, les 500 km d’Andenne, dans son jardin. Il m’avait dit que je ne devais pas venir reconnaître parce qu’il connaissait tout par coeur. Il est parti comme un
malade mais sans les bonnes notes
, je t’assure que je n’en menais pas large et je lui ai dit que cela n’arriverait plus. Et la deuxième fois, c’était avec une voiture de m… lors d’un Rallye à Mettet mais il n’était pas à l’aise non plus. Ensemble, nous avons rarement abandonné."

Comment as-tu ensuite atterri dans le baquet de droite avec Nicolas Min ?

"En 1990, lorsqu’il a débuté en Mazda, il roulait avec son cousin mais il a vite compris qu’avec son préparateur, il ne disposerait jamais d’une 323 suffisamment performante. Il est alors venu chez José Lareppe pour faire préparer sa voiture et, à la Semois, José m’a proposé de rouler avec Nicolas. Mais je ne le connaissais pas et j’ai refusé. Durant le rallye, José a attaqué fort et nous le devancions, mais pas de beaucoup. Avant la dernière boucle, José lui a proposé de le laisser passer pour lui permettre de réaliser une bonne opération au championnat et Nicolas a répondu que s’il faisait cela, il ne l’aurait plus comme client l’année suivante. Cela m’avait impressionné ! L’année suivante, il a loué une Manta chez José, qui ne roulait plus, et j’ai fait toute la saison avec lui. En fin d’année, nous avons participé au Rallye de Côte d’Ivoire en Mazda 323. Nous avons fini premiers Gr.N. Du coup, Nicolas devenait pilote prioritaire alors qu’il n’avait jamais participé à un Rallye Inter en Belgique."

Joseph Lambert avait initialement été séduit par le fait que Nicolas Min refuse que Lareppe le laisse passer pour l’aider dans sa course au titre ASAF. - Avec André Peters, Joseph a remporté le championnat interprovincial ASAF en 1978. La saison1982 avait bien commencé avec une 6è place aux Boucles de Spa.

Guy Colsoul était-il de la partie en Côte d’Ivoire ? Parce que l’année suivante, vous étiez intégrés au team Mitsubishi Belgique.

"Non. Mais l’oncle de Nicolas, Eddy Borremans, roulait à l’époque avec Guy Colsoul. Sans doute n’était-il pas étranger au rapprochement qui s’est fait durant l’intersaison. Aux Boucles de Spa 1992, je vois encore Guy dire à Nicolas "qu’il roule avec un ancien modèle et qu’il ne doit donc pas se mettre la pression, même si Freddy Loix est devant lui". Mais Nicolas devançait Freddy jusqu’au bris de la transmission lors du dernier passage


dans la Clémentine. En salle de presse, il pleurait et je me souviens qu’un journaliste est venu lui dire qu’il devait être plus fort, qu’il ne devait pas pleurer pour cela. Au Circuit des Ardennes, avec une nouvelle voiture, nous étions encore devant avant un nouvel abandon. Malheureusement, Freddy a dû écourter sa saison après Ypres. A Looi, nous avons remporté le Gr.N et terminé 3èmes du général. En 1993, nous avons remis le couvert avec la Galant VR4. Il y avait une super ambiance avec toute l’équipe de Colsoul."

Colsoul Rallysport quand il roulait avec Nicolas Min, Joseph a beaucoup apprécié l’ambiance dans l’équipe Colsoul Rallysport quand il roulait avec Nicolas Min sur la Mitsubishi officielle.

J’ai roulé la moitié du rallye avec un bidon de 20 litres d’eau entre les jambes ! 

A l’époque de José, avais-tu encore un gros travail de copilote ?

"Non, pas vraiment. Nous étions semi-professionnels. Et nous étions bien organisés pour une petite équipe. Nous avions l’avantage de travailler constamment avec Lahouter. Ces gens connaissaient bien le rallye en général et toutes les épreuves. A l’époque, on faisait assistance après chaque spéciale. Il suffisait de savoir lire une carte et un timing pour être près de l’arrivée de chaque spéciale. A Ypres, ils étaient même en milieu de spéciale, au cas où... Et ils savaient se débrouiller. Un exemple : au RAC en 1983, on a eu un problème de surchauffe moteur à la moitié du rallye. Nous étions assistés par Jean-Marie Wey et Robert Rorife avec son beau-frère ; ils ne voulaient pas en rester là... J’ai roulé la moitié du rallye avec un bidon de 20 litres d’eau entre les jambes. Ils avaient bricolé un système avec une pompe à essence et un tuyau qui sortait par la vitre latérale. Régulièrement, je devais injecter de l’eau quand José me disait : "remets une giclée !". Dans les parcs de la première journée, sur asphalte, nous étions en tête du Gr.2 devant les As nordiques mais dès le lendemain, on n’a plus pu les suivre. En revanche, nous avons une fois battu Tony Pond avec sa Rover Vitesse
au Hunsrück !"

Et tes débuts de traceur, à quand remontent-ils ?

"Je me souviens qu’en 1978, le Tulpenrally faisait toute une boucle dans le Grand-Duché de Luxembourg, avec un passage sur le circuit Goodyear. En contact pour celui-ci, l’organisateur a demandé que je lui trace tout le parcours grand-ducal en ma qualité de membre de l’écurie Goodyear, qui était seule autorisée à organiser des épreuves sur le circuit. Après cela, j’ai continué à tracer des rallyes dont le Police-Gendarmerie dans sa partie luxembourgeoise. Je me suis aussi impliqué dans des teams de course sur circuit, notamment avec Alain Beauchef, qui roulait en Formule Renault. Nous dormions dans la remorque. C’était vraiment une autre époque. On mettait tout l’argent dans la voiture de course. J’ai fait les 24 Heures de Francorchamps comme chef de team un nombre incalculable de fois avec des Simca ou encore des Escort KWS. Sinon, j’ai aussi organisé des rallyes pirates qui partaient de la cour de la ferme de mes parents le vendredi soir."

Quelle est la première grosse organisation pour laquelle tu as travaillé ?

Avec Willy Lux à la Ronde de la Fayolle.

"J’ai débuté par les Classic Spring Roads avec Willy Lux pendant trois ans. Notre collaboration s’est arrêtée parce qu’il ne voyait pas les choses dans le même esprit que moi. Nous étions passé de 30 à 80 équipages avec des nationalités diverses et je voulais encore faire progresser l’épreuve vers plus de participants sans viser les bénéfices immédiats. Avec 120 voitures, tu devenais le plus beau rallye historique de Belgique... Normalement, j’aurais dû m’occuper aussi du Liège-Rome-Liège avec Michel Jodogne et le RACB mais ce projet de relance n’a jamais abouti. Maintenant, Jean-François Devillers a choisi de modifier l’esprit en revenant sur quelque chose de plus sportif avec une nuit passée au volant mais le copilote pourra prendre le volant dans les liaisons et ceux qui seront bien organisés pourront dormir un peu. Mais il y aura déjà dix RT’s avant d’arriver à la première étape à Livigno."

En 2011, Joseph a beaucoup roulé avec Willy Lux, ici à la Ronde de la Fayolle. L’année suivante, ils lançaient ensemble les classic Spring Roads.

Pourquoi les organisateurs changent-ils aussi souvent de traceurs ? Parce qu’il n’est pas facile de concilier des fortes personnalités ?

"Vu les difficultés d’améliorer un plateau et de retrouver le succès d’antan, il fallait que Jean-François trouve une autre recette. Et comme il a été reproché à Robert de la jouer trop soft, il s’est tourné vers moi parce que j’ai une réputation plus dure en matière de tracés. L’esprit que Jean-François souhaite rendre à Liège-Rome-Liège correspond plus à ce que les Britanniques attendent, sans oublier les Nordiques. On a baissé fortement les prix et il n’y a plus de (frais de) transport à prévoir puisque c’est un aller-retour. On sera aux alentours de 50 RT’s entre 10 et 40 km alors que Robert était à 4-5 RT’s par jour. La clientèle visée est clairement différente. Mais je tiens à dire que je m’entends très bien avec Robert et qu’il me téléphone souvent. Il était même heureux que je le soulage un peu parce qu’il est très demandé et il ne rajeunit pas non plus."

En 2012, Joseph a été invité par Opel France dans l’opération consistant à aligner trois Ampera hybrides au Monte-Carlo Energies Nouvelles. Il a réussi à intégrer Patrick Lienne dans l’équipe, pour seconder Jean-Claude Andruet. Mais Joseph l’ a emporté à la droite du grand Bernard Darniche, qui lui était manifestement reconnaissant.

Le Dakar, en voilà un que j’aurais bien aimé faire ! 

Y-a-t-il une épreuve que tu regrettes de ne pas avoir disputée ?

"Je le disais hier soir à Colette, mon épouse, en voyant les images du Dakar. Si je n’avais pas 68 ans, en voilà une que j’aurais encore bien aimé faire ! Sans parler du Dakar africain. A l’époque, nous aurions dû monter un programme avec Walker Evans, un champion de Baja qui avait un contrat avec Goodyear. Il était intéressé mais Dodge, qui construisait le buggy,
a refusé en estimant que les retombées du Dakar n’étaient pas suffisantes aux USA pour justifier un tel programme. Nous avons également eu un projet pour faire le Monte-Carlo avec trois Audi 80 Quattro Gr.N louées chez RAS, qui auraient été chaussées de pneus All Weather. Goodyear a été le premier à proposer un pneu 4 saisons. Nous avons fait des essais sur place avec nos pilotes d’essais puisque c’était eux qui devaient piloter. La maison-mère aux Etats-Unis était partante. Mais la firme a été victime d’une OPA violente de la part d’un magnat britannique et tout fut annulé ! Dans le même genre d’opération, nous avions été approchés, au début des années 80, par Gaston Rahier lorsqu’il était champion du monde. Il souhaitait changer de manufacturier de pneus et nous étions très forts sur le marché américain en motocross. Il y avait à l’époque une volonté de se faire connaître sur ce marché en Europe et Gaston a voulu faire des essais avant de signer avec nous. Pendant une semaine, il a testé notre gamme américaine derrière la carrière à Wonck. Il a juste demandé une petite modification sur le pneu avant et il était d’accord de signer. Mais aux Etats-Unis, ils ont fait marche arrière..."

UNE CARRIERE COMPLETE CHEZ GOODYEAR 

"J’ai fait toute ma carrière chez Goodyear, je n’ai eu qu’un employeur," explique Joseph Lambert. "J’ai été engagé dès la fin de mes études et j’ai été prépensionné fin 2009. A un an près, j’ai fait toute ma carrière dans le même département. J’ai débuté à la conception de pneus pour camions mais comme ils me voyaient traîner, même la nuit, du côté de la piste d’essais, on m’a proposé de postuler au département d’essais et j’ai foncé. Longtemps sur le terrain, j’ai fini dans l’administratif dans les 20 dernières années. C’était un département très important, qui a compté jusqu’à 350 personnes dans le monde, et il fallait gérer tout ce personnel disséminé en Angleterre, en France, en Allemagne et en Italie. J’ai même été détaché à Mireval (dans le Sud de la France, NdlR) pour trois ans mais je suis rentré au Luxembourg après un an et demi lorsqu’on m’a proposé de gérer tous les essais Goodyear avant d’hériter en plus des essayeurs de chez Dunlop lorsque la fusion entre les deux marques a été effective. A la fin, je gérais même des essayeurs en Thaïlande et en Australie. En fait, il n’y avait que l’Amérique du Nord dont je ne devais pas m’occuper. J’ai donc beaucoup voyagé.

Joseph a fait la connaissance de Michael Schumacher sur le centre d’essais de Mireval en 1993. - Joseph espérait disputer le Dakar (en Afrique) avec l’Américain Walker Evans (avec le chapeau) mais une OPA visant Goodyear a anéanti le projet.

Mais j’ai eu la chance de rencontrer de très nombreux pilotes notamment lorsque nous lancions des produits sportifs que nous présentions sur des circuits. Je garde d’excellents souvenirs de Jackie Stewart, de Jack Brabham, sans oublier Juan-Manuel Fangio. Jackie avait un contrat d’une dizaine de journées d’essais pour Goodyear Europe concernant des pneus de route haut de gamme. A l’époque, il s’impliquait dans le développement à mi-chemin. Il travaillait en aveugle et j’ai essayé de le piéger mais il avait vraiment un excellent ressenti. Au début, pour voir s’il bluffait, je lui ai une fois remis un pneu qu’il avait déjà essayé plus tôt. Ses cotations étaient exactement les

mêmes et il m’a signalé que cela ressemblait très fort à celui qu’il avait essayé deux heures avant ! Mais il était très exigeant. Il lui fallait une certaine sorte de fromage à midi, il y avait un mobilhome rien que pour lui, et il fallait que tout s’enchaîne sans approximation. Mais en échange, nous avions un excellent retour d’informations.
J’ai aussi beaucoup travaillé avec Walter Röhrl lorsqu’Audi était engagée en IMSA. Mais là, c’était des essais compétition parce que le programme de développement du pneu était basé en Allemagne. Je me souviens aussi de Michaël Schumacher qui était déjà arrogant. J’ai fait sa connaissance à Mireval en 1993, lorsque le magazine Auto Motor und Sport y organisait son élection de la voiture de l’année en mettant les dix dernières voitures retenues à disposition de quelques célébrités. Il m’avait ramené un beau paquet de graviers sur la piste..."

Texte & interview : Bernard VERSTRAETE.

Vos commentaires

  • Le 17 février 2023 à 14:06, par Jean-Jacques Gelhausen En réponse à : Joseph Lambert : "J’ai besoin de challenges"

    Je suis un amateur pur (régul historique) de Luxembourg et avais une admiration pour Joseph, à la limite jaloux de ce qu’il faisait. Je n’ai jamais osé lui demander de prendre le siège de droite de ma Tr3 mais j’ose pourtant imaginer que par sympathie et gentillesse il l’aurait peut-être fait…

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