Thomas Collard est un jeune copilote, après quelques essais avec la Clan Crusador (de papa) à la Coupe des Sources en 2016, il se lance en 2018 en régularité mais ses prouesses sont plutôt de l’ordre du "Luc Noël Rally" : retourner les jardins, cueillir les cerises et planter les choux...(dixit Thomas !). En 2019 il seconde Pascal Bonal ses aptitudes s’améliorent, ensuite 2020, 2021, 2022 et les expériences deviennent payantes et il se classe régulièrement dans le top-5. 2023 devient l’année où il tente de conquérir le podium. Je vous laisse découvrir son aventure au Pays de Charleroi, d’ailleurs... il la raconte bien mieux que moi
Bob d’Automag

Une 2ème place à Charleroi... N’importe quel équipage signerait directement !
Et pourtant, vous allez le lire, celle-ci fut pour nous assez inattendue. Et pour ma part, elle vient carrément de loin.

En effet, après un bon début d’année avec le doublé à Pair, les résultats sont un peu retombés depuis la mi-saison, partagés entre P6 et P4, manquant parfois le podium pour pas grand chose.
Jamais ridicule mais jamais devant, jamais devant mais jamais ridicule : ça y est, je suis devenu le Katsuta de la régul.

J’étais donc en quête d’un bon résultat avant la fin de l’année pour me remettre en jambe.
Une première tentative eut lieu en France au Classic Côte d’Opale, version light, avec mon père Pascal Collard, à bord de notre bien-aimée petite Clan Crusader bleue.
On savait que Christophe Berteloot n’allait pas nous épargner, ayant eu à faire à ses frasques nordistes lors d’une première tentative infructueuse en 2019 avec Paul Herman.
On ne savait par contre pas qu’on allait boire la Bérézina jusqu’à la lie en s’auto-cramant dès le CH 1.
On roule depuis 10 Km. Un fléché allemand nous conduit vers le petit Village d’Airon-Saint-Vaast où nous attend le premier CH.
Les dernières arêtes nous font passer deux fois à côté du CH avant de prendre une toute petite ruelle contournant celui-ci pour aller pointer.
Premier passage : "Elle compte, cette ruelle-là ? Sais pas, on verra bien."
Deuxième passage, au même endroit : "Merde, une lettre ! On l’a pas vue au premier passage, tiens. Ah, zut alors. Diantre. Sacrebleu, ..." a-t-on tout le temps de se dire avec la tête tournée à droite en passant devant la petite ruelle à gauche.
*Bruit de caisse automatique* Ca fera 10 minutes, merci.
Je serre déjà les dents.

5 Km plus tard, on se fait servir nos premières cases inversées chères à nos amis français. Comme tout bon copilote, je les ai entourées avec un gros signe "ATTENTION" dès le départ.
Croyez-le ou non, mon cerveau BYPASSE mes propres annotations et j’annonce les cases dans le désordre. C’est F-O-U. Inouï !!
Bien sur, il y a une pince à poinçonner juste après le décomposé avec lettre qu’on était sensé faire. Sans encore réaliser ce qu’il vient de se produire, je pince la première case vide sur ma feuille de route. Le ressort ne fonctionne pas bien, ma feuille est bloquée dans la pince ! Ou plutôt, devrais-je dire, mes DEUX FEUILLES. Car on a reçu deux feuilles de route au départ, et je viens de les trouer TOUTES LES DEUX D’UN COUP !!
Je m’en rends compte en redémarrant, en plus des cases inversées. Ca vaudra au road-book un showcase de quelques secondes avec Mike Tyson.
Bon, et bien l’Opale, à priori ce ne sera pas pour nous. On retrouve la Clan avec un pneu plat le dimanche matin dans le parking de départ. N’ayant pas de roue digne de ce nom pour affronter un nouveau lot d’anfractuosités, on remballe et on rentre. Il fait moche. Il fait froid. C’est la misère.

Il va vraiment falloir remonter la pente.
Charleroi arrive, la motivation revient. C’est un rallye qui me tient fort à coeur. Chaque année, c’est un pied d’enfer à droite comme à gauche.
Je révise mon catalogue Google Maps d’astuces en fonction des points de passage. Je passe en revue toutes les fois où Pierre-Yves et Thierry m’ont fraisé depuis 2018. Geoffrey place des nouveaux pneus et même des nouveaux freins sur sa Fiesta ST. On est ready. On est CHAUD.

18 novembre. Jour J. Charleroi nous voilà !

Départ de Jalhay à 10h, autoroute, M de Bomerée, étalonnage, salut les copains, CA, CT, pain(s) saucisse(s), briefing, et top départ !
Ca se passe bien, on évite les premiers pièges, on profite du parcours. Quelques subtilités font monter la sauce crescendo, tous les voyants sont au vert en arrivant à Couvin, déjà la moitié du rallye dans les bottes. Ca passe décidément trop vite.

On apprend autour de notre sandwich qu’on a pointé une minute en avance à la première prise de temps du premier RT. Hein ?! Mais on régulait, pourtant !
Bon, du contrôleur et moi, il y en a forcément un des deux qui était en avance sur son temps. On perd aussi le réflexe de contrôler l’heure qu’on nous a mis, à force de rouler au Tripy. 103 points, ça m’apprendra !
On va poser la question à la direction de course et voir ce qu’on peut faire, sinon tant pis. Mais pas de quoi entacher notre entrain !

On repart de nuit, les choses sérieuses commencent. Dès la sortie du regroup, secteur de 7 minutes avec 2 feux rouges pour les plus malchanceux (nous, entre autres). "Remonte tes bretelles, mon cher Goeffrey, on entre dans le money time".
Partie une minute devant nous, on entame une partie de cache-cache avec la Golf de Damien et Baptiste, équipage que l’on désignera désormais par "la Golf", par pure fainéantise.
Premier CH à Boussu-en-Fagne après le regroup, on arrive 15 secondes avant notre heure. La Golf, qu’on a dépassé entretemps, pointe 54 secondes dans sa minute. Rien à faire, ça m’énerve déjà. Un copilote n’a AUCUN ami entre deux CH.
On se tire une bourre d’enfer de la France au circuit de Chimay, la dopamine est produite à la chaîne.

On arrive, bien à température, au regroup de Cerfontaine. C’est déjà la dernière boucle. Et elle va être riche en sensations.
On repart donc une minute avant la Golf et, après le CH de Falemprise, aux lacs de l’Eau d’Heure, on se rend compte qu’ils pointent dans la même minute que nous.
Bizarre, ça... On fait 2-3 secteurs dans la même minute, Geoffrey insiste, c’est pas normal. Je vérifie ma feuille de route, et c’est le drame !
"20h45 + 5’ = 20h51. 20h51... 20h51 ?!?". NON !!! J’ai sauté une ligne au moment de calculer ce fameux secteur de 5’, calculant les 6’ du secteur suivant. C’est pas possible...
60 points, ça pourrait être pire, mais ça me fout le cafard, ça n’en finira donc jamais.

Soit, il reste une cinquantaine de kilomètres, avec un peu de chance on fera top 5. On enquille.
Après Vergnies, on doit suivre une plaque directionnelle Renlies. Elle se trouve dans notre dos pour une petite route à gauche. Mais ça, on s’en rend compte 2 minutes plus tard en revenant sur nos pas. La Golf a fait de même, mais moins longtemps, les revoilà devant nous.
Niveau timing, on commence à serrer les fesses. Notre Big Digit vient d’afficher 21h13 et on doit pointer avant 21h14 !
On a une note horloge 90° droite, non-métrée.
21h13m10s. Un chemin se présente à droite avec des panneaux travaux. Terre ou pas ? On met le museau dedans, on hésite.
21h13m20s. Non, c’est terre, c’est la suivante !
21h13m30s. On croise la Golf qui revient voir si ce n’était pas la bonne route, nous ayant vu hésiter. L’espoir qu’ils prennent ENFIN une minute tant méritée s’empare de toutes les molécules de mon corps.
21h13m40s. On est au 90° droite, c’est un T. Pied dans le phare à la relance, on distingue le panneau jaune. "GARDE GAZ, BORDEL !!". Et ça PASSE !
On pointe à 21h13m53s, ouf, c’était moins sept.

Pendant que le contrôleur nous pointe, la Golf déboule en trombe. Certain qu’ils ont passé le panneau jaune après 21h14m00s, je lance au contrôleur, euphorique : "Ils ont passé le panneau jaune à 14, hein ! Vous leur mettez 14, hein !". Pas le temps d’entendre la réponse, on a déjà fait cent mètres.
Je jubile déjà de les voir attendre la minute suivante dans le rétro au prochain CH.
8 minutes plus tard, on y arrive. Panneau jaune, attente, c’est l’heure, on entre ...et eux aussi. PARDON ???
Ca veut dire qu’on les a pointé à 21h13 aussi...
C’est pas possible, j’en ai MARRE. Je les HAIS. Goeffrey me calme un peu, on est au départ du dernier RT.
Après 10-12 Km à réguler, je foire de nulle part une note absolument anodine et, après une bonne minute de jardinage, notre métré est plombé.
Il n’y a aucune distance de recalage jusqu’à la fin du RT. Je me décompose. Ca part en live.
Système D, voire système Z : Goeffrey doit se débrouiller pour être à plus ou moins une minute des phares de la Golf. Jean-Kevin Régularité. Du grand art.

On réussira quand même à ne prendre "que" 41 secondes à la dernière prise de temps.
On savoure quand même les derniers kilomètres de cette épreuve hors-norme en se faisant plaisir dans les campagnes d’Ham-sur-Heure.
Une fois dans le parc, on range l’agitation dans le coffre, je récupère mes amis avec qui partager une bonne bière bien méritée dans la salle.

Baptiste m’avoue qu’ils ont en effet franchi la panneau jaune à 21h14. Mais le commissaire, étant occupé à nous pointer, n’a pas pu le constater.
Ne suffisait alors plus qu’à lui déclarer solennellement : "Oh la la, c’était moins une pour pointer à 13... *gros clin d’oeil vers la camera*".
Déjà invincible qu’il est, si on commence en plus à le pointer à l’heure alors qu’il est en retard... "T’aurais fait pareil", me dit-il. "Ben clairement LOL", de lui répondre. On aurait TOUS fait pareil. C’est ça aussi, le charme des CH humains. Quand on est du bon côté, du moins.

Arrive le décompte des classements. Un top 5 reste malgré tout envisageable.
On cite les 10 premiers à rebours. Pas de traces de la Fiesta ST entre P10 et P6, c’est bon signe.
5... Gauthier et Kenneth. Oh, cool ! Allez, top 4, c’est mieux qu’escompté.
4... Daniel et Robert. OUFTI, PODIUM, TERRIBLE !
3... Pauline et Oli. SAÎÎÎNT-DJEUHHH, L’ARGENT !!! Incroyable... Ou alors on est 11ème et je saute par la fenêtre.

Mais c’est bien nous ! P2. Fan-tas-tique.
Comme avec Pascal en 2019.
Une journée de fou, une orga de malade, un résultat de cinglé.
Ma saison 2023 en rallyes officiels, après bien des conneries, s’achève sur un top résultat. Ca fait du bien !
On peut chaleureusement remercier l’ASBL Nero et ses équipes de nous avoir proposé, une fois encore, une journée de grande qualité. Trépidante, même.
On sera, avec Geoffrey, les premiers inscrits en 2024.

A bientôt sur les routes !
Thomas Collard.

Reportage PHOTO des Boucles de Charleroi 2023 par Jean COUVREUR